Extrait 1
Un carreau d’arbalète roux-argenté perfora la tache de lumière qui envahit le seuil de la porte que venait d’ouvrir la petite fille. Un petit Yorkshire en fait, traversa la rue pour se planter littéralement la truffe sur le haut portillon grillagé de la maison d’en face. Sans discontinuer il aboyait et sautait comme un ressort pour franchir l’obstacle ; et L’enfant, de neuf ou dix ans, les mains jointes sous le menton, riait joyeusement au spectacle du petit chien qui labourait furieusement la trame de métal plat du portillon avec ses griffes.
Aux anges, la petite fille heureuse sautillait sur l’étroite bande de trottoir.
De l’intérieur du local protégé par le portillon, un grognement profond et inquiétant prit naissance, s’enfla et roula lentement jusqu’au petit York qui n’en tint aucun compte, bien au contraire. Protégé par le grillage après lequel il tentait de grimper, son hystérie hurlante atteint des sommets.
Et l’enfant, les yeux brillants, riait, riait…
Le portillon ne vibra pas sous le choc des 37 Kg du berger belge en colère. Le grillage se déchira d’un coup, et la tête d’un gros chien noir jais, s’encastra dans le trou. Sous le choc, le York blackboula cul par-dessus tête, jusqu’au milieu de la rue.
Quelques minutes avant, comme à son habitude, mais surtout lorsqu’il faisait chaud, le Grœnendael dormait, allongé de tout son long sur le sol cimenté frais de l’entrée. Le soleil, qui fleuretait avec la cheminée de la maison d’en face, éclairait son pelage presque zain et luisant, au centre du cercle de lumière blanche qu’il lui offrait et qui jouait de sa lente et profonde respiration à le rendre visible ou invisible.
L’animal rêvait de ce qu’il aimait : plonger et replonger dans les eaux courantes et fraîches du petit ru de derrière l’église ; se sécher ensuite en courant à perdre haleine dans la prairie contiguë. Un traditionnel jeu entre le chien et l’homme succédait à la course effrénée. Oublié le maître, oublié le vassal… En rasetteur confirmé, à 40 à l’heure, le chien revenait sur son maître en foulées impressionnantes et d’un bond impressionnant mais parfaitement contrôlé, il sautait par-dessus l’épaule de l’homme, gueule ouverte sur des longues dents aussi blanches qu’étaient rouges ses gencives.
Les mâchoires claquaient au ras des oreilles de l’homme qui ne bougeait pas d’un pouce. Les partenaires connaissaient parfaitement les règles et les limites de ce jeu qu’ils s’étaient inventé, et à l’once duquel ils s’appréciaient l’un l’autre. Les chiens de race, comme les chevaux, sont les compléments de l’homme, mais c’est à l’homme de se remettre en cause pour maintenir la bonne harmonie du couple. Ces animaux éprouvent le besoin vital de se tester entre-eux comme de tester leurs maîtres. C’est ce qui les rend heureux dans l’obéissance. En réalité, à ce stade, l’obéissance disparaît qu profit d’un partage de sentiments très forts.
Extrait brutalement et à corps défendant de son rêve, le Groenendael pourtant difficile à sortir de ses gonds, avait craqué face à cette boule de poils hurlante, mâle aussi de surcroît, qui attentait à son territoire et à sa tranquillité. De chien à chien, la taille n’est pas à priori une cause d’agressivité et, puisque l’intrus avait été repoussé l’affaire aurait pu en rester là… Mais l’intrus en question choisit d’en décider autrement ; à peine remis sur ses pattes, toutes dents sorties; il revint à la charge, croyant encore le grand chien noir à l’intérieur, derrière sa grille.
Le hurlement du York se termina en couinement bref. Le craquement sec des os figea la petite fille appuyée sur l’aile de la voiture en stationnement devant sa maison.
Le hurlement du York se termina en couinement bref. Le craquement sec des os figea la petite fille appuyée sur l’aile de la voiture en stationnement devant sa maison.