"Les gouttes d'encre"

Cristalline (un volcan géant endormi , une source vive, sous une pluie d'étoiles... Pourquoi ne pas en faire un rêve ?)

Je progresse sur un sentier de montagne, seul ! La nature qui orne les pentes des vénérables volcans silencieux du Cantal est superbe en ce début de saison d’automne… Pas un souffle de vent. Le soleil indique les 05.00 heures d’un magnifique après-midi. La chaleur que libère la vallée remonte les pentes lentement pour aller se perdre vers le sommet du puy… Hormis le bruit des semelles de mes chaussures sur les caillasses, aucun bruit ne me fait l’honneur de m’accompagner.

Lorsque je fais une pause : le silence est tel que je me surprends, tenter de percevoir le bruit que devraient faire les marmottes toujours invisibles et qui habitent pourtant le secteur. Plus je monte et plus j’ai l’impression que le bruit de forge de mes poumons s’entend jusqu’en bas, dans la vallée. Bientôt quatre heures que je marche ainsi, suivant les méandres tortueux des chemins de chèvres. Je pense bien, de temps à autre, lorsque je glisse deux mètres après avoir peiné à en gagner un seul, à la piste bien aménagée et balisée qui part de la vallée. Mais, armé d’une carte d’état major, d’une boussole, d’une solide paire de chaussures et d’une expérience pas encore oubliée, j’ai fait le choix d’emprunter ce chemin de vérité qu’en Martinique, pour d’autres raisons, on appelle « Dieu seul me voit », afin aussi d’éviter de croiser d’éventuels groupes criards de touristes marcheurs et accros du GR « n+13 » et surtout, pour mesurer à sa juste valeur le mérite que je m’octroierai lorsque j’arriverai au but fixé. Ce n’est donc pas sans grand plaisir que j’aborde enfin le tapis herbeux du petit plateau au pied du sommet du Puy Griou.

Au centre de cette grande prairie bordée d’arbres, je reconnais les ruines d’une antique bergerie, que m’avait décrite un ami bien des années auparavant. Il m’en avait même montré une vieille photo 6X6 en noir et blanc qu’il en avait prise et dont le souvenir était resté ancré dans ma mémoire.

La ruine ne conserve plus maintenant que son périmètre de pierres à peine haut de 80 cm. Complètement envahie d’arbustes poussés entre les pierre plates de ce qui avait été un toit, c’est certainement un vrai nid à serpents six mois par an… Mais au diable les serpents, j’y décide mon bivouac et mon coupe-coupe à tôt fait d’en dégager l’intérieur, où je déballe de mon sac à dos, de quoi calmer ma faim de loup et dormir à la belle étoile.

Pendant que naît mon feu de camp au milieu d’un foyer de grosses pierres assemblées que je recouvre de terre noire, le bleu du ciel change de ton et se pare d’une cape en limite du bleu sombre et du noir. Le bois est sec et les flammes se déploient vers le ciel, à la manière d’une longue chevelure roux flamboyant dans un vent de tramontane.

Très vite le fagot se transforme en tas de braise. J'y répartis, entourées de papier aluminium, des pommes de terre et quelques boulettes de viande, et lorsque enfin je m’assieds sur mon sac de couchage, dos appuyé sur la grosse pierre ronde que j’y ai roulée, mon corps peut se détendre enfin.

Mains jointes derrière ma nuque rejetée en arrière, je ferme les yeux et laisse mon esprit s’ouvrir sans entraves aux sensations de ce qui nous entoure. L’atmosphère est encore imprégnée d’une certaine tiédeur, et le silence qui m’oppressait presque lorsque je marchais, semble se diluer tout autour de moi, amicalement.

Une impression de sérénité m’enveloppe doucement en même temps que disparaissent les contractures douloureuses qui avaient envahi mes muscles au fur et à mesure de cette montée difficile. Je suis en limite de céder au sommeil ainsi ; c’est une erreur en montagne, mais qui n’en fait pas ? Une sensation indéfinissable m’interdit toutefois de me laisser aller… Quelque-chose me manque dans ce décor qui m’entoure, quelque-chose d’important ! Ce sentiment réveille tout à coup mes sens insatisfaits. J’ouvre les yeux avec la sensation que mes oreilles se muent en radars mobiles. L’insatisfaction que j’éprouve me devient insupportable… J’ai le sentiment de regarder un tableau duquel aucune âme ne transparaîtrait…

L’obscurité prend possession du ciel, je devine à peine la base du sommet du Griou, et ne serait la lueur dansante des flammes généreuses du feu de camp qui crépite, je ne distinguerais même pas la lisière de la futaie distante d’à peine vingt mètres. Mais il est temps d’aller m’approvisionner dans le tas de branches et de bois mort que j’ai repéré à la lisière du bois en arrivant sur le plateau. Je me lève, et torche en main je fais une dizaine de pas dans cette direction. A mi-chemin, intrigué je m’arrête un instant et je tends l’oreille: une discrète mélodie cristalline se révèle à mon ouie ; elle semble provenir du tas de bois.

A pas de loup, torche éteinte je m’approche et je comprends soudain de quoi il s’agit. Je réalise dans le même temps, que l’état d’insatisfaction qui était le mien, disparaît... Je viens tout juste de poser un pied dans une petite coulée d’eau d’à peine trente centimètres de largeur…

Ma torche éclaire maintenant deux rochers qui bordent à quelques mètres une sorte de talus naturel ; entre ces deux protubérances jaillit une source d’eau claire et malicieuse qui luit et scintille dans mon faisceau de lumière. Cette eau qui s’échappe en sautillant, rebondit sur les cailloux, tombe un peu plus-bas dans une petite cuvette creusée opiniâtrement dans la pierre… C’est de là qu’elle chante avant de s’écouler par la rigole dans laquelle je viens de poser le pied, pour disparaître deux mètres plus loin sous le tas de bois, dans un trou mystérieux de la montagne.

Tout simplement née d’un volcan assoupi depuis 6000 ans, cette source d’eau fraîche ne cesse nuit et jour de chanter une mélodie de cristal, luttant ainsi contre la suprématie oppressante du silence qui entoure toujours les sommets arides des volcans endormis ; seulement audible par l’être curieux et attentif qui choisirait de se reposer à son coté, au sein du silence apparent.

L’âme qui manquait au tableau dans lequel je me suis invité est là, depuis toujours… Rasséréné d’avoir trouvé réponse au mystère qui me préoccupait, je ramasse quelques grosses branches que j’épouillerai et mettrai dans le feu auprès duquel je retourne lentement… Un, deux.. Cinq et sept pas plus avant et le chant de la source rejoint le trou dans le rocher… Assis sur une pierre devant le feu, je retourne dans la braise les pommes de terre et la viande, enrobées d’alu… Existe-t-il, quelque-part, une formule qui permettrait de calculer la distance logique entre le tableau de maître dans lequel chacun de nous s’invite chaque jour, et l’âme qui lui fait prendre vie… ?

Toujours pas de vent, les flammes lèchent lentement les bois dont je les nourris, les braises crépitent gentiment tout le temps que je prends à savourer ce repas que je n’échangerais contre aucun autre. Puis, laissant le feu s’amenuiser, je rejoins mon sac de couchage dans lequel je me glisse à même la peau. La voûte étoilée éclate à mes yeux de tous ses feux dans l’air purifié des altitudes du Cantal, seulement transpercée par la dent du Griou solidement enchâssée dans la puissante mâchoire du monstre Cantalien endormi et, juste avant mon départ dans l’espace par l’esprit, complice, la rieuse et cristalline mélodie de la source vient s’étendre près de moi, elle me prend doucement la main et je m’envole avec elle.

Michel-Louis LEONARD

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