"Les gouttes d'encre"

Le cadeau à Boris

 

Le cadeau à Boris

Par son père, j’ai pu faire la connaissance d’un jeune homme assez particulier qui se nomme

Boris.

Ce jeune homme qui, s’il paraissait de prime abord, qu’on puisse en faire le tour aisément, m’a procuré beaucoup de plaisir à le mieux parcourir et le connaître en ce qu’il renfermait de juste, de simple et de vérité, et qu’il cachait... Certainement en raison de ce monde pas toujours attentif de ces qualités dans lequel il se construisait. Il est resté une semaine chez moi, au sein de ma famille. Nous avons beaucoup parlé et ri de tout, nous avons même fait de la poésie ; et nous nous sommes mutuellement appris beaucoup de choses. Mais, malgré toute l’attention que je pouvais porter à ce qu’il m’a découvert dans ce contexte familial tout nouveau pour lui, je n’ai à aucun moment détecté le moindre signal qu’il existât une cause quelconque à ce qui pourrait porter atteinte à sa vie présente ou future; si ce n’est le fait qu’il avait 21 ans... et les interrogations internes qui vont de pair avec cet âge en 2005. Toutefois, j’ai ressenti quelque-chose de très important dans son état d’être, qu’il m’est difficile d’exprimer ici avec des mots banals. Lorsque est arrivé l’heure de son retour chez lui, puisqu’il ne pouvait rester éternellement chez moi, je lui ai fait le petit cadeau ci-dessous, que je vous laisse à lire avant de vous dire ce qu’il en advint.

 

Lettre à Boris

 

Boris, ton père t’as guidé vers moi, pour que tu puisses vivre un moment de la vie d’une autre famille ; une vie tout à fait différente de celle que tu as pu connaître jusqu’ici. Nous avons tous été très heureux de nous partager avec toi, et tu t’es immédiatement, et parfaitement intégré à notre manière de vivre et de prendre les choses. Pas un instant ton sourire ne s’est éteint et tu m’as semblé aussi naturel que si tu avais vécu ici depuis ta naissance. Mais une chose tout de même m’est apparue. Laquelle ? C’est ta construction ! Je ne parle pas du physique, mais ta construction sociale et morale. Je ne t’en parlerai pas plus ici que dans le futur... parce-que, si tu veux mon avis, il ne faut pas modifier la structure d’une construction qui est élevée sur de bonnes fondations. Tu as certes beaucoup à apprendre, mais je crois que la terre qui est la tienne, est du meilleur aloi qu’il faut pour te permettre de grandir en homme comme je l’entends. Tu es net, attentif, et comme la voile, tu rends ce qui t’est offert; en cela que tu cherches le bon cap à prendre. Tu le trouveras j’en suis certain, pour toi, comme pour ceux que tu aimes.
Je souhaites que tu fasses le tour du monde des limites, dans l'esprit de la tolérance et de la fidélité aux principes et aux acquis, et que tu acquiers la clairvoyance, même si parfois elle conduit son détenteur à prendre des décisions dont l’apparente dureté reste longtemps incomprise de tous ceux qui la subissent ; et ce en respect des meilleurs, (même s’ils sont peu) qui de tous temps en ont posés les jalons que les sociétés, péniblement, parcourent de leurs pas hésitants.

Quarante années de différence d'âge nous contemplent, mais je vois en toi, non pas un fils putatif, ni un élève… Mais un ami ! Alors, je vais me permettre de confier à cet ami là, un tout petit bout de ma vie ; un tout petit bout seulement… Je ne l’ai pas écrit que pour toi, mais pour me le rappeler au cas où un jour, il me serait arrivé d’oublier certaines valeurs. Mais je serais flatté, que tu conserves jalousement, et longtemps, ce petit bout là, car il représente peut-être un semblable petit bout de vie, que tu pourrais bien avoir croisé chez quelqu’un d’autre, très proche de toi; que pour raisons diverses et compréhensibles dues à la jeunesse, tu n’aurais pas retenu. Ce petit bout de vie se nomme:


Le fil du rasoir

Mon expérience est, je crois, celle de tout homme qui, un jour se rend compte que - de se regarder dans son miroir, même si l'image qu'il y voit lui semble sans reproches, constate à l'observer, que son reflet ne le regarde pas droit dans les yeux. Alors, il se retourne et, ne voyant rien d'autre, brise le miroir et part à la recherche de son image, de celle qui le regardera franchement. Cela me rappelle que lorsque j'avais 16/17 ans, j'observais regardais mon père se raser avec un "coupe-chou", lentement et méticuleusement. Il semblait agir en dehors du temps et passait ses doigts sur la peau de son visage après chaque passage... Tout à coup il cessa et son regard dans le miroir glissa vers moi et, souriant malicieusement me dit: "Tu te demandes bien pourquoi j'utilise cet outil, alors qu'il existe des rasoirs électriques, n'est-ce pas ?"

C'était un peu vrai, mais j'étais surtout intéressé par l'expression et les mouvements de ses mains qu'il ne manifestait que dans ces moments là. Je ne savais quoi répondre, pris sur le fait de mon indiscrétion. Alors, laissant couler de l'au brûlante sur sa lame, il me dit: " Je me rase avec ça, parce-que mon père m'a apprit que rien en l'homme n'est innocent; chaque matin, il doit se recompter et ne peut faire ça qu'en face de lui-même. La perfection d'une peau bien rasée n'est pas qu'une question de facilité et de rapidité, c'est question de "rituel" (eh oui, c'est la première fois que je réalisais ce mot) Tout rituel est un sacrifice et, chaque fois que l'homme se coupe, c'est qu'il ne le respecte pas, donc qu'il ne s'est pas bien recompté.

(Mon père ne se coupait que très rarement) Il termina son "recomptage", se rinça soigneusement, replia lentement son coupe-chou, me regarda, et, choisissant dans sa trousse le plus beau de ses rasoirs, (il en avait sept) me le tendit. avec son cuir... "C'est le tien maintenant, à toi de savoir te compter !" Je ne savais pas m'en servir, ma barbe ? Il fallait la chercher pour l'apercevoir. J'étais interloqué, mais sachant l'importance qu'il attachait à ses affaires personnelles, j'avais la gorge serrée. Il le vit, alors il éclata de rire et termina la conversation en me disant: " Et, fais bien attention à ne raser que le bonhomme qui te plaira dans le miroir...Sinon… ne te rase pas !"

J'avoue que je me suis souvent coupé avec cet outil dans mes années d'apprentissage, et que parfois, bien que rarement, cela m'arrive encore... Mais je n'ai jamais utilisé d'autre instrument de "recomptage" même s'il paraît tout à fait étrange et obsolète à 99% de nos contemporains. En 1998, mon père s'en est allé galoper dans les grandes prairies de l'Orient Eternel. Mais chaque fois que je me rase ainsi, je vois son visage dans le miroir, derrière mon épaule, souriant, grave lorsqu'une rayure rouge apparaît. Mais mon père est toujours là, vivant ! Et, lorsque je ne me sens "pas bien dans ma peau", pour une raison ou une autre, j'ai bien envie d'aller me raser, mais le matin est l'heure du rituel; le rituel est immuable; il doit être protégé pour nous puissions garder ses valeurs intactes et ainsi pouvoir nous ressourcer.

Voilà une des valeurs que mon expérience d’homme m’a apportée… Bien avant que je sache ce que pouvait vraiment représenter le fait d’être un homme. Je te la confie modestement, comme un petit cadeau de nouvel an.

Voilà donc ce qu’était ce « petit cadeau de Boris », qui était visiblement surpris d’un présent que personne ne lui avait fait avant. Impatient et curieux de l’ouvrir, il fila s’enfermer dans la pièce qui avait été son univers d’une semaine,. Nous étions seuls dans l’appartement, exception faite de mes deux bergers Groënendaëls qui suivaient la scène d’un œil, étalés sur le parquet de l’entrée. Le silence régnait, je m’étais discrètement retiré dans ma pièce d’écriture et je surfais sur Internet. Je surfais longtemps, si longtemps que je m’inquiétais un peu de ne pas le voir réapparaître… Au moment où je pensais à me lever pour « aller voir », la porte de sa chambre s’ouvrit et Boris apparût, tout droit sur le seuil et tenant son « cadeau » plié dans une main. Il était un peu pâle et, malgré le soin qu’il y avait apporté, je pus entrevoir qu’il avait encore les yeux rouges d’avoir laisser échappé des sentiments qu’il n’avait pu certainement laisser couler avant… Parce-qu’il n’avait jamais pu leur donner le nom qui était le leur. Il s’avança vers moi, puis, d’un coup, me sauta au cou et m’étreint fortement. Un peu hésitant au début, je lui rendis, comme si c’était mon propre fils, cette étreinte qu’il destinait en fait à son père… Il venait de le retrouver, pour de bon, parce-que un jour, je m’étais souvenu avoir reconnu le mien et que lui avait fait cadeau de ce petit bout de vie là.

A Paris, le 30 Décembre 2005

 

copyright©Michel-Louis LEONARD-01-2006

Haut de page

Règles d'utilisation du site | Espace Observations & Communication  ©2005 Michel-Louis LEONARD