"Les gouttes d'encre"

La Chambre d'Amour (Entre "nous" et "l'autre", cet égoïste, qui ne pense qu'à lui... Combien de mondes ne s'offrent-ils pas à nous initier à leur existence pour que nous soyions enfin, conscients de nous mêmes ?)

L'Amour, c'est une Chambre close pour deux... Sans murs, sans fenêtre ni porte. Cette Chambre, comporte toujours la seule chose qui soit réelle: (« On » ne sait jamais pourquoi) des rideaux...! Et depuis qu'existent les rideaux, il y a toujours derrière, quel que soit le cas, une idée de mur, une image de fenêtre..! Une fenêtre ? Oui ! Et dans cette image, « On », peut entre-comprendre le fantasme d'un autre Univers mais naturellement, dans tous ces univers, il y a d'autres rêves d'hommes et d'autres rêves de femmes... Les rêves de ceux que l'on pousse à rêver se réalisent toujours.

Lorsque nous rêvons trop intensément, nous pensons vivre la réalité... Puis, au réveil nous croyons rêver aussi, nous voulons nous rendormir mais c'est impossible car « On » préfère... Le rêve...! Alors « On » dessine dans sa tête, la porte qui manquait dans l'idée de mur de cette Chambre close de l'Amour ; une vraie porte ! Une bonne vieille porte bien réelle, avec une poignée qu'on abaisse, pour l’ouvrir… Et la porte s'ouvre… Et on change d'Univers... En emportant la porte dans sa tête ! On change toujours seul d'univers, car l'Autre, n'en a pas rêvé... L'Autre ne sait pas où est cet univers puisqu'il ne le connaît pas... Et l’Autre », ce pauvre Autre, qui lui n'a pas rêvé, pas plus qu'il n'a vu « On » rêver, il n'a plus rien d’autre qu'une Chambre d'Amour close sans Amour, et sans porte…

Alors il se demande s' il ne vient pas de se réveiller, s'il n'a pas rêvé... D'un Rêve...? Il est seul, car dans ce rêve qu' il croit avoir fait, il n' a jamais pris le temps de rêver d'autre chose que de lui même et de « On »... C'était tellement...Réel, tellement... Satisfaisant... A quoi bon bien sûr, imaginer une autre réalité ?

Alors quoi-faire...? Tourner...? Virer...? Se cogner la tête contre les murs...? Pourquoi pas bien sûr, puisque l'idée du mur existe...?

Alors il se cogne la tête dedans mais il ne sent rien, puisque ce mur n'est qu'une idée et qu'il n'a pas idée de ce que « se faire mal veut dire »... Machinalement, il frôle de sa main la seule chose qui ait jamais été, réelle dans une Chambre d'Amour... Les rideaux.. Là, il sent quelque chose, il regarde la chose, la caresse, la palpe, la soulève, pour voir ce qu'il y á derrière... Et, il voit l'image de la fenêtre, mais rien d'autre.

Alors il tourne en rond, la poitrine lourde, la tête douloureuse, ses yeux piquent, ses membres brûlent, ses dents se serrent... Tout cela est si difficile à comprendre... Il se raidit tout entier, il tombe à genoux, les yeux bétonnés, il serre les poings, se mord la langue.. Si fort, Si fort, qu'elle se fend... Que le sang colle dans sa bouche et sur ses joues... Si fort... Qu'il se met à hurler... Hurler si fort que ses oreilles même ne peuvent le supporter, il plaque ses mains dessus et serre... Serre… Mais, rien ne peut empêcher un tel cri de torturer les tympans de qui l'exhale...

Alors il se lève, tournant sur lui-même, les mains sur les oreilles, ses yeux grand ouverts ne s'arrêtent plus sur rien puisqu'il n'y a rien. Il se rue en avant, sans savoir pourquoi... Ni pour où ! « Où »? Il n'a d’ailleurs jamais pensé à ce que « Où » pouvait signifier ou simplement que « Où » pouvait exister...

Alors Il se lance tout entier, lourd de toute la densité de ce désespoir dont il vient de faire la connaissance... Et tout s'arrête sur... Un mur... ! Sur ce mur, il s'explose, se fend le nez, s'ouvre le front, ses mains s'ouvrent devant ses yeux, ensanglantées, déformées à son regard tellement il pleure...

Alors il tombe à quatre pattes sur le sol... Des cailloux meurtrissent ses genoux et ses mains... Il relève la tête et tant la lumière torture ses rétines qu'il en ferme les yeux.

Des gens le bousculent, grognent et invectivent l'hurluberlu à quatre pattes au milieu du chemin... Du Sang...? Des Cailloux...? Une clarté douloureuse...? Mal partout...? Mais qui et que sont tous ces gens qu’il n’a jamais vus, qui l’écartent et le rejettent ainsi ? Où est « On » ? Où est l'idée de mur...? Que sont devenus les rideaux... Et cette image de fenêtre vide...? Mais que se passe t il donc ? Que sont ces choses...? Cet endroit qu'il ne connaît pas...?

Il se relève, il recule et, incertain, il vacille et finit par se retrouver assis au faîte d'un talus herbeux, observant éberlué, ces gens inconnus, aller et venir comme un ballet bien réglé, vaquer à des occupations inconnues sans même s'apercevoir qu'il est là, blessé, perdu, Seul ! Certains ploient et suent sous le fardeau, d'autres sont juchés sur d'énormes caisses avec des roues qui font vibrer le sol en craquant de tout leur bois et grinçant de tous leurs fers, chargées de choses malodorantes ou de grains à l’odeur d’ambre, tirées par de grands êtres musculeux, à quatre membres, bizarres, et soufflant très fort. Il reste là, sans bouger, curieux de cette foule, et de ce chemin qu'elle emprunte, surpris par ses cris, ses éclats de rires, et de ces odeurs enivrantes.

Petit à petit, la chaleur réchauffe son corps, la lumière, fait éclater les couleurs ; un souffle tiède fait vibrer les choses, onduler les herbes et danser la cime des arbres... A mesure, que son regard se lève, il acquiert ce qui l'entoure. Une foule de plans s'impose à ses yeux, chacun d'eux rempli d'images et de choses aux aspects et couleurs inconnus de lui. Il se sent envahi et troublé par cette immensité qui l'entoure, et la curiosité, subrepticement, s'empare de ses sens les uns après les autres; chacun semblant devenir doué d'autonomie...

Cailloux et graviers sollicitent ses paumes, l'herbe rafraîchit son corps, ses yeux, son ouïe vacillent sous les formes, les couleurs et les bruits... Son cerveau est un tourbillon dans lequel s'engouffrent les légions de la nature, le monde s'empare de lui; lui qui pensait être tout...! Il est tout à la fois immense de ce qui l'emplit, et minuscule de ce qui le contient. Tant de sensations inconnues, plaisir, douleur, désespoir, espérance...! Appartient-t-il ? Possède-t- il ? Il ne sait plus... Tout, tourne et s'embrouille dans sa tête...

La sensation vague d'un calme serein qui l'envahit, de ses yeux qui se ferment, d'une vague qui s'alanguit et meurt sur le sable... Alors lentement, très lentement, images, bruits et couleurs ralentissent leur ronde folle ; puis lutins tendres et farceurs, ils se rapprochent de lui, l'entourent doucement, tout doucement dans la chaleur du soir, puis ils le couchent sur un tapis d'herbes tiède et le veillent amicalement dans la paix du soir bruissant et chaud... De cette paix s'élève un murmure... Celui de la maternelle et terrible mélopée de la vie à laquelle il vient de naître.

Au loin, là bas, tout là bas, tout au fond d'un rêve, inexorablement, disparaît une petite Chambre d'Amour, Close, pour deux, sans murs ni fenêtres ni porte, une Chambre, qui comporte toujours, la seule chose qui y soit réelle... ("On" ne sait jamais pourquoi)... des rideaux... Qui, comme tous leurs semblables, et ce, depuis qu'existent les rideaux, cachent selon le cas, une idée de mur, une image de fenêtre.

Michel-Louis LEONARD
Copyright©La chambre d'amour Michel-Louis LEONARD 2000

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