"Les gouttes d'encre"

Le Baiser de la Panthère Noire
Ecrite pour mon ami Thierry qui, lorsque la quarantaine sonnait à sa porte n’aimait pas ça du tout  ! (Bon, il en a un peu plus maintenant, mais il a trouvé sa panthère, alors tout va pour le mieux maintenant)



L’autre soir, tu me disais mon ami, ou plutôt, tu nous confiais ton inquiétude de cette imminente quarantaine qui, tous muscles tendus, et griffes dehors, te semblait, là, lovée au prochain carrefour de futaies, prête à bondir sur tes épaules, et bien déterminée à te planter ses crocs dans la nuque…

J’ai ressenti ton inquiétude qui malgré ton sourire n’était pas feinte.

Alors, j’ai voulu te rassurer. Normal, il y a dix huit ans, je passais justement par là. C’est loin, juste, mais je ce que j’ai ressenti personnellement était tout à fait opposé  à la peur de l’âge ! Quelque chose de tout à fait contraire à ce sentiment s’est dégagé en moi , et je m’en vais te le raconter ce contraire là, si ça peut t’aider à dégainer pour tirer juste ce jour là.

La quarantaine ne m’a pas brisé la nuque en feulant… Mais un certain après-midi, je marchais vers un rendez vous d’affaires. Alors que j’empruntais à droite le boulevard Poissonnière en direction de l’Opéra, en passant devant le « grand rex », je sentis, comme une présence animale contre ma jambe gauche… « Puissante la bête ! » me dit mon instinct « Une panthère noire ! » me précisa, le petit doigt en l’air, mon regard interloqué. Si, si, je t’assure Thierry, elle était même d’un sacré noir brillant la bestiole. L’animal doucement, ajustait son pas de soie au mien; j’ai senti sa chaleur, j’ai senti son odeur et j’ai senti aussi ses muscles bien huilés rouler sur mon genou, me freinant un peu, m’imposant un rythme plus lent, plus régulier, plus fort; manière peut être, aurait-on dit, de m’apprendre à marcher mieux… En tous cas, coté marche, c’était efficace…

Cette beauté, sans tourner la tête vers moi, me surveillait tout de même un peu du coin de son œil jaune d’or… Elle me jaugeait plutôt je crois... Son dos ondulait juste à hauteur de ma main. C’aurait dû être effrayant, je le vis encore lorsque j’en parle tu sais… Mais si le sentiment normal avait dû être l’effroi, ce n’était pas ce que j’éprouvais et si je pouvais lui donner une définition, je voudrais pouvoir le ressentir à chaque instant, et pour le reste de ma vie si cela était possible. Je n’osais pas à ce moment trop la toucher… Hé, hé, bien sûr, en général il y a toujours des dents à l’extrémité d’un félin.

J’entendais son souffle, puissant et régulier, je percevais aussi son haleine… Et aucun doute ne subsistait, cet animal ne mangeait pas des croquettes... Je ne regardais pas franchement devant en marchant, car si je croyais la peine de mort abolie, je pensais aussi, que celle qui marchait sur ses pattes à mon coté, ne devait pas en avoir été avisée. De deux choses l’une : ou Badinter n’avait pas plaidé pour ça, ou j’avais dû y être condamné sans m’en souvenir…

Chemin faisant, je me surpris à devenir plus serein, la panthère semblait m’avoir communiqué tout son rythme. En regardant autour de moi, je constatais que les gens me regardaient - moi - et non ma compagne ; les hommes, avaient l’air un peu inquiet, ou respectueux, c’était selon l’un ou l’autre, les femmes... Alors, les femmes...! Il me semblait repérer quelque chose de particulier dans leurs regards, surtout dans le regard de celles qui me semblaient… Vraiment femmes !

Beaucoup me souriaient et se retournaient. Pas déplaisant du tout comme sensation, très émoustillant au contraire. Je pensais simultanément que nonobstant l’extraordinaire de la situation, je devais établir d’urgence un budget spécial pour nourrir mon faire valoir. Au fait, qu’est-ce que ça mange une panthère ? Ce qui sort d’une boucherie ou les guetteurs qui montent la garde sur le rocher du parc de Vincennes ?

C’est fou comme on s’habitue au succès, et encore plus fou comme on redoute de voir s’évaporer ce qui vous y a amené… !! Je réalisais la portée de cette crainte, lorsque la tête de l’énorme matou pesa franchement sous ma main. Naturellement, je caressais cette robe chaude et soyeuse, un vrai plaisir des Dieux, ma main descendit, en un réflexe inquisiteur sur son cou et se promena jusqu’aux omoplates… De collier ?  Point ! Je regardais, pas non plus de trace de… ! Mais d’où venait-elle donc cette beauté ?

J’allais à un rendez-vous où je devais rencontrer des financiers potentiels pour un Grand projet en Chine Populaire, et j’arrivais justement à une encablure de la banque ; qu’allais-je faire de cet animal qui semblait m’avoir adopté pour la vie ? J’allais m’arrêter pour y réfléchir, mais la panthère qui semblait avoir anticipé, passa derrière moi et grogna sourdement. De son mufle elle me poussa d’autorité en avant, jusqu’à la porte de l’immeuble... Je décidai donc d’y rentrer comme si de rien n’était, et j’entrai... Ma panthère noire sur les talons… !

Ce fut un succès, et ne fus jamais meilleur dans la présentation d’un projet. Tout ce qui était nécessaire à dire et à préciser, était présent dans ma tête, aucune faute de tact, ni de tactique. J’étais aussi à l’aise que jamais au manche d’un planeur au-dessus du Morvan. Pendant tout ce temps, ma compagne était restée couchée à coté du fauteuil que j’occupais, sans jamais me quitter de son regard d’or, que ses paupières me cachaient de temps en temps.

Je savais que j’avais gagné la partie. Je sortis de l’immeuble. J'étais bien conscient avant, de ce que je valais bien sûr, d'autant que je savais ce que je voulais; mais à ce moment, je n’étais plus moi, enfin, si, j’étais moi, mais un moi différent, avant la panthère j’avais des possibilités, du potentiel… Mais à présent jJ’avais des pouvoirs, ma vue embrassait tout, sur 360 degrés - je mesurais 1.98m - j’étais beau - j’étais fort - je savais tout faire ! Ma compagne, ma sœur toujours à mon flanc, je me dirigeais vers les jardins du Louvre. J’aime ce lieu, et je voulais respirer autre chose que des vapeurs d’essence… Mis à part quelques pigeons, le parc était presque désert. Toujours accompagné par la « mort noire », Je m’assis sur un banc, juste devant un piédestal vide de statue à l’ombre d’un bel arbre. La panthère s’assit devant moi, puis s’étendit tel un élastique (c’est fou comme cet animal pas très grand en fait peut s’allonger). Elle se lécha largement les babines, puis, en miaulant elle sauta sans préalable à mon coté. Elle s'allongeat bien droite sur le banc et posa très doucement sa tête sur mes genoux, fermant les yeux.
J’étais dans un état mental proche de l’ébullition, ou de la glaciation, je ne sais plus. Je nageais dans un océan d’excitation. Toute méfiance de ma part s’était envolée... Moi qui suis tant circonspect sur l’existence d’un seul d'entre-eux, j’étais sûr que les Dieux me l’avaient envoyée… Je pris sa tête dans mes bras et posais ma joue sur sa tête… Quelle sensation…! J’embrassais ses yeux, son mufle, (c’est gros un mufle de panthère) et puis je m’enhardis à faire ce que depuis tout petit je rêvais de faire, je relevais doucement ses babines et je palpais ses crocs et promenais mes doigts sur ses babines... Elle me laissa faire, longtemps, comme endormie, mais au moment où je retirai ma main, une très belle voix s’éleva doucement, s’adressant à moi :

  • « Alors, tu vois, ce n’est pas si difficile que ça, tout s’est bien passé comme tu le voulais non ?
    Je restai pétrifié... La panthère s’enleva alors et se posa telle une plume noire de jais sur le piédestal sans statue, elle se retourna et me demanda :
  • « aurais-tu pris ce risque lorsque je t’ai rejoint  ? »
    Je pensais qu’elle parlait du risque des dents, mais je m’entendis répondre :
  • «  non, car je ne te connaissais pas ! »
  • « Alors, tu sais ce que tu as à savoir, tu n’as plus besoin de moi,  Adieu ! »

    A ces parole, je sentis toutes mes forces m’abandonner réalisant que ce magnifique félin allait disparaître, et que je ne le reverrai jamais. J’aurais voulu me mettre en travers de son chemin, l’empêcher de bondir… Je voulais la supplier de rester avec moi, encore un peu, non, pour toujours… Mais je m’entendis bêtement  lui demander:

- « Dis moi au moins quel est ton nom…  ? »

Ma question la figea dans son mouvement tous muscles saillants - Terriblement impressionnante, elle tourna lentement ses fascinants yeux verts dans ma direction. Sa gueule à demi ouverte était rouge, menaçante ; et d’un coup, ses babines se retroussèrent sur ses crocs; de poignards d'un blanc éclatant... Toutes griffes dehors et feulant, elle s'élança droit sur moi… J’étais presque heureux, soulagé, de finir sous ses griffes car ce qu’il me semblait avoir vécu m'était devenu irremplaçable ! Ce jour valait tous ceux ma vie. Vivre autre chose ? Vivre sans ce superbe animal ? Il me semblait que c'était devenu impossible, fade et inutile. Pétrifié, je fermai les yeux par réflexe, et j’attendis… Rien ! Mais un cri, puissant, strident, se planta dans mon cerveau, s'y répercutant comme un écho :

« QUARANTAI- AINE...! »

Il n'y eût pas de choc !
Je rouvris les yeux, j’étais toujours vivant, là, bêtement debout, bras ballants devant le piédestal vide, je me tournais dans toutes les directions pour voir « ma » panthère… Plus de panthère ! Peut-être étais-je trop surmené, ou carrément malade, fou... Ou encore, quelque-part ailleurs, pas réveillé du tout…

Puis tout à coup, très vite, je me sentis respirer comme jamais cela ne m’étais arrivé, l’odeur de la panthère était restée sur mes mains, elle imprégnait mes vêtements, je me sentais bouillant du besoin de vivre, j’avais envie de grogner, de mordre dans une chair saignante. « Quarantaine » m’avait investi, j'étais la panthère ! Je me mis à courir, droit devant moi comme sur un stade au grand étonnement de trois personnes âgées qui distribuaient du maïs à des pigeons. Puis je repassais devant elles, à reculons en écartant les bras, et je leur criais : « QUARANTAI-AI-AINE… SUPE-E-E-E-R- BE…… ! » Et je me fondis dans la vie.

Voilà Thierry comment j’ai vécu mon passage. Alors regarde bien derrière toi, car ta « Mort Noire » c’est vrai est toute proche de toi. Mais, je l'espère pour toi, peut-être la verras-tu marcher plus longtemps que moi à ton coté !

Michel-Louis LEONARD

Copyright©Le baiser de la panthère noire Michel-Louis LEONARD 2001

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