"Les gouttes d'encre"

"Quidam" chante: "C'est la danse du boa ah ah ah ah..."

Quidam et madame sont sur le canapé; Lui, se bagarre contre le piqué d'une escadrille de baillements, et peine à en taire les déchirements, tandis que madame attend avec impatience, dos bien droit, le moment fatidique où elle verra la place du petit écran qu'occupera sans aucun doute son Quidam de mari le soir de la sortie de son roman... PPDA, encore en train de se mélanger les pupilles à cause de son prompteur qui ne défile pas à la bonne mesure ou il pense déja à l'émission qu'il va présenter dans quinze minutes, car il commence ramasse ses feuillets en même temps qu'il dit au revoir à ses inconditionnels.

Un grand coup de coude dans les côtes de Quidam, fait exploser l'escadrille qui le harcelait et, enfin, le générique de Vol de Nuit envahi l'écran. Ils n'ont pas attendu pour rien, il y a du beau monde ce soir, sauf un qu'il n'ont jamais vu et qui n'a pas l'air d'être à la noce à proprement parler. D'ailleurs, après son traditionnel et sympathique "Bonjour à tous", PPDA en arrive vite à présenter ce dernier - un nouvel auteur, et en plus, un premier roman... De quoi scotcher à l'écran tous les quidamsà la fibre écrivaine qui allaient zapper, déçus, une fois de plus de ne pas pouvoir fouler le plateau même par procuration.

- "Tu vois ? S'écrie madame Quidam, même PPDA en présente un, ça pourrait même être toi si tu t'y étais pris quelques mois avant".

Quidam est complètement réveillé, il est si tendu des oreilles et des yeux, qu'il a l'impression d'être assis de l'autre coté, à la table d'un PPDA un peu ébouriffé dans un costard gris-bleu à fines rayures, mais sans cravate... Vol de nuit, ce n'est pas le J.T, le boulot et le masque, c'est plus l'heure. Détendu, le sourire discret, mais sérieux, il commence à présenter le bouquin... C'est tout juste si quidam ne se lève pas du canapé pour tenter de lire le titre du bouquin dont PPDA caresse la couverture d'une main en la tournant vers la caméra.

C'est JULLIARD l'éditeur. PPDA le précise tout de suite après le titre et le fait que c'est le premier roman d'un jeune inconnu. Un tout jeune qu'on croirait à encore au lycée. Un jeune homme mince, un peu voûté sur la table, bras allongés et mains croisées loin devant, il a pris la pose du blasé de service que rien n'étonne plus. Les relookers du plateau qui lui ont donné une apparence décontactée - pull léger ras du cou et petites mèches folles et blondes largement fixatisées - Intimidé, ou étonné, derrières de petites lunettes rondes bien posées sur un petit nez de farceur, son regard vole un peu partout, pendant que PPDA diagonalise avec componction le sujet de son oeuvre... Puis il entame un dialogue avec l'auteur, qu'il dirige de voix de maître et lui fait raconter l'histoire.

"Dernière année de lycée, la terminale. La nouvelle prof de philo, tombée raide folle amoureuse du mignon post adolescent, n'avait pas supporté qu'il semble lui préfèrer la constante compagnie d'un jeune prof d'E.P.S stagiaire... Ulcérée de tous ses nombreux et vains efforts, elle dévoila aux parents, aveugles du fait, la "pratiquement certaine" homosexualité de leur fils, par téléphone, juste une semaine avant les premières épreuves du bac"... Deux ans auparavant.

Le feu à la sainte barbe de la frégate de la famille, deux semaines de combats parenticides... Le bac explosé - Puis la fuite-désertion, in extremis, pour Paris avec le jeune prof qui ne s'était pas privé d'attiser le brasier pour enfin voir se concrétiser huits mois d'efforts et de prudente patience. Et enfin... la découverte qu'il n'était pas nécessaire d'avoir des diplômes lorsqu'on est jeune et beau mec pour embrasser des carrières prometteuses à Paris sans aucun souci pécunier.

Oui mais: ce qui devait arriver arriva. Le jeune provincial, quelque peu promotionné par un ami de son ami qui était bien placé et lui voulait du bien, se retrouva catapulté dans une télé-réalité... Il passait si naturellement à l'écran, sans même s'en appercevoir, qu'il devint vite la relation préférentielle et très jalousée de son mentor auquel, après tout pourquoi pas, il céda sans trop de remords. Ainsi, l'utile, l'agréable et tout ce qui en découle généralement, l'amenèrent à rompre la relation qu'il avait avec son premier amant, qui se retrouva seul dans son coquet petit studio au coin de la rue des archives.

Oui mais, (encore une fois), son protecteur, si jaloux qu'il était, ne l'était qu'à sens unique, il est vrai qu'il était d'un brin de 15 ans plus âgé, dans la pleine force trentenaire et qu'il avait les obligations de son milieu pour exister. Or, pour y exister dans ce milieu, ce n'est pas la lumière du jour qui est nécessaire, mais plutôt celle de la nuit et des bars à la mode dans lequels il faut beaucoup donner de soi-même et en exiger autant de ses amis... Aussi, ce qui devait arriver arriva, malgré l'âge, malgré l'expérience et malgré les évidences de la chose.

Il se retrouva un jour dans la position de celui qui, conseillé vivement de consulter par une personne qui le connaissait bien, s'entendit annoncer qu'il était séropositif et pas depuis la veille. Dans un cas pareil, le temps accélère, tout va très vite, il dépasse le présent et fait le tour en ignorant un avenir qui n'existe plus, jusqu'à télescoper le passé dans son pare-choc arrière. Il avait deux enfants, d'un mariage de convenance auquel fut un temps il avait satisfait à regret. Après quelques jours d'errance, il s'introduisit en douce dans l'appartement qu'il avait sous-loué pour abriter ses amours avec son éphèbe, lui laissa une vague lettre de rupture non signée, une somme d'argent représentant trois mois de loyer et de quoi survivre pendant quelques semaines. Son jeune amant réalisa rapidement mais un peu tard, que le nom qu'il lui connaissait était faux. Il ne reparut plus jamais; et les lumières de ses bars favoris l'avaient déjà oublié lorsque le jeune homme l'y rechercha. une "bonne âme", ignorante mais compatissante, lui ayant conseillé à lui aussi, de satisfaire à un dépistage... Par une chance inouïe il ressortit d'un laboratoire avec un résultat négatif. En fait, la "bonne âme" en question lorgnait depuis longtemps le jeune éphèbe qu'il ne pouvait auparavant "souffler" au nez et à la barbe de son protecteur avec lequel il entretenait des relations d'affaires. Il proposa gentiment d'aider le jeune homme qu'il savait bien incapable de s'aider tout seul.
"

PPDA est un maître en la manière de faire et le jeune homme ne se sentit même pas raconter son histoire au cours de ce jeu de questions-incitations-réponses.

Ce qui ne fut pas dit, bien sûr, c'est que le nouveau mentor du jeune auteur était un homme de métier qui savait comment déceler une valeur exploitable dans une histoire somme toute simple qui n'eût intéressé personne s'il s'était agit d'un homme et d'uen femme. Il amena donc son protégé à raconter, puis écrire son histoire, qu'il fit revoir et corriger par un collaborateur aguerri et présenta le résultat à un gros éditeur de ses relations qui, comme le sujet est porteur pour ses nombreux adeptes comme pour ses encore plus nombreux détracteurs, savait qu'il ne risquait pas le fiasco, bien au contraire... Chacun y trouverait son compte, sauf celui qui ne sait pas encore qu'on ne raconte jamais deux fois la même histoire et qu'avant de pouvoir en écrire une autre il faut en vivre beaucoup, avoir la culture en passion et posséder un vrai talent.

L'ambiance du plateau était électrique, le "premier roman" avait utilisé un temps d'intérêt certain et les autres "invités" laissaient discrètement percevoir qu'ils trouvaient le temps long, mais le sujet ne pouvant être critiqué compte tenu des sensibilités qu'il exacerbe, tous s'efforçaient au sourire, voire chacun à tenter de rebondir dessus afin d'attirer les caméras sur eux.

Monsieur et madame Quidam étaient littéralement horrifiés et lorsque PPDA passa à l'invité suivant, Quidam éteint la télé d'un coup de doigt rageur sur la touche et explosa, prenant madame Quidam à témoin.

.../... Au suivant !

 

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